Aspects de la Poésie Visuelle



(Wolf Vostell)

1.  Typographies

On relève un traitement spécifique de la typographie chez les pionniers de la poésie concrète, comme chez les poètes futuristes italiens, tout en restant surpris par l’usage figuratif assez naïf que ceux-ci pouvaient en faire. En généralisant, trois questions théoriques peuvent être soulevées. 1) Quelle est la signification de la lettre ainsi détachée et relevée de sa fonction purement signifiante à l’intérieur du mot ? Il semble qu’un tel processus de matérialisation ("concrétisation") dénote aussi bien une idéalisation de la lettre « en soi », accédant par là à un statut d’« objet » particulier. 2) Qu’en est-il exactement des potentialités graphiques, plastiques, expressives en général du caractère imprimé, et comment émergent-elles ? 3) La « chose imprimée » peut-elle devenir l’emblème d’un réalisme radical opposé au subjectivisme « littéraire » ? Et quel est le rôle de la « machine imprimante » dans ces conditions ?

Pour une histoire de la poésie concrète

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(Ilse Garnier. La Meuse)

1. Le "concret"

Le projet de la "poésie concrète", qui se voulait révolutionnaire et libérateur, se fondait aussi bien sur l'idée d'un retour - un retour à certaines évidences. Si les langues occidentales se distinguent par leur aspect phonétique - le primat de la parole selon la théorie linguistique - il n'en va pas de même pour d'autres langages, comme les idéogrammes chinois ou bien les hiéroglyphes égyptiens. Le phonétisme a favorisé l'abstraction et a conduit au mythe exclusif de la signification ; les poètes concrets rêvent d'une immédiateté qui pourrait court-circuiter le langage de la signification et permettrait une langue d'"avant", ou d'"après" la signification. Pour ceci ils s'engagent dans un processus de réduction du langage à sa matérialité - le visuel, la lettre, le tracé - qui se veut en même temps, et de façon paradoxale, une libération ou un affranchissement du langage en tant que tel. Affirmons d'emblée que la poésie visuelle seule ne lèvera pas cette contradiction, plutôt s'y enfermera.

Critique de la raison mimétique


Julien Blaine


On n'en finit jamais avec la mimesis, tellement que le sort d'une poésie "non-mimétique" semble scellé a priori. Mais d'abord, de quoi s’agit-il ? L’art imite la nature, dit Aristote, ce qui d’emblée se comprend de deux façons. D’une part la téchnè mène à son terme (accomplit, perfectionne) ce que la phusis est incapable d’œuvrer pour elle-même. Déjà, ici, une ambiguïté : l’art peut suppléer à la nature (c’est ce qu’entend Aristote et avec lui toute la tradition), mais l’art peut aussi supplanter la nature (c’est ce qu’affirme la modernité). Il y a là deux mimésis «générales» dite aussi «productives». Enfin, d’autre part, mimésis garde son sens d’ "imitation", au sens restreint, au sens de «copie» (ce qui n'offre guère d'intérêt). Mais par ailleurs, il n’existe pas de mise en œuvre sans mise en scène, d’où le caractère originellement théâtral de la mimésis. On sait l’importance que lui accorde Diderot avec le «paradoxe du comédien» : celui-ci imite d’autant mieux, produit d’autant mieux qu’il n’engage aucune propriété ou qualité personnelles, mais se fonde sur la capacité «poïétique» pure, le don en soi de la Nature, l’énergie même. Plus il n’est «rien», plus il peut «tout faire». Il y a donc une mimétologie fondamentale dont dépendent les capacités de jeu, la création en général, et enfin le talent, le génie…