Minorités et Underground

Ecritures mineures, minoritaires, clandestines, ou « underground »… le phénomène a toujours existé et ne se rapporte pas comme une évidence au principe d’Avant-garde ni aux mouvements  d’avant-garde historiques, puisque la seule existence d’un « mouvement » indique une dynamique collective et déjà une forme de reconnaissance à l’opposé de cette marginalité – subie ou assumée – que semble impliquer le mot « underground ». Dans les souterrains de l’underground artistique, culturel ou politique, se meuvent et se côtoient, sans forcément se rencontrer, des tendances et des réalités extrêmement diverses, souvent opposées et parfois incompatibles, extrémistes ou pas, extrêmement originales ou au contraire affligeantes de banalité ; de futures avant-gardes, des immatures destinées à le demeurer, des génies incompris, des « cas » et de grands solitaires… Mieux vaut, au moins heuristiquement, conserver un lien ténu avec le principe d’avant-garde, seul phare pour nous orienter en ces eaux troubles et agitées, et peut-être nous sauver d’une noyade annoncée ! Après tout de ce creuset indistinct les avant-gardes ont fait partie, elles en partent. L’on peut articuler trois angles d’approche ou trois niveaux de réflexion pour cerner ce concept d’underground : une première réalité sociale renvoyant au simple phénomène « minoritaire », une question d’ordre esthétique et ici littéraire mettant en jeu la « lisibilité », enfin un niveau thématique touchant au contenu que l’on qualifiera globalement de « contestataire » et par ailleurs d’« utopique ».

D’avant-garde ?

Mettre en doute – littéralement : suspendre – l’idée de modernité ne dispense pas d’être « moderne », si cela suffit à repousser les « réactions » en tous genres : passéistes, académiques, archaïques… Le « post » de postmodernité a plutôt le sens d’un ultra, d’un emballement destiné à briser l’immobilisme de fait où se complait toute époque ; un questionnement, un en outre : la modernité, et après ? Et quoi encore ? Est-ce que cela, par hasard, serait suffisant ?… C’est cette pulsion, ce cri, cette révolte, cette intransigeance qu’ont toujours revendiqué les avant-gardes. Contestation, déstabilisation, destruction ; mais aussi affirmation, dans le sens de la singularité, de la particularité accrue des styles et des techniques. Toutes les avant-gardes n’ont jamais été hantées que par cela. Toutes les avant-gardes, néanmoins, sans exception, ont tenu ou se sont cru tenues de lier leur pratique aux idéologies permettant d’englober le social dans leur projet – et ce fut souvent la révolution. Ce n’est pas parce que la révolution est un rêve que l’avant-garde est inconsistante ; ni l’inverse, d’ailleurs. En réalité il faut distinguer entre plusieurs usages, plusieurs maniements du mot « avant-garde ». Je suggère de distinguer :

Faut-il être absolument postmoderne?


Jean-François Lyotard a introduit le mot postmoderne en philosophie dans un livre (La condition postmoderne, 1979) qui se présente simplement, avant toute intention polémique, comme un rapport. Il prétend dresser un bilan des principaux codes langagiers surdéterminant le Savoir et ses divers modes de légitimation. Lyotard extrait ses références des toutes nouvelles technologies communicationnelles, informatiques ou cybernétiques. Etant donné le caractère provisoire de ces recherches, et les simplifications inévitables auxquelles le philosophe a recourt, on peut certes considérer comme réductrices ou hasardeuses nombre de ses analyses. Lyotard fait notamment la part trop belle au discours narratif, plus exactement au récit, qui serait le modèle légitimant de tous les autres types de discours (cognitifs, prescriptifs, etc.) et aurait seul en retour, par sa pratique « mineure » ou micrologique, le privilège exorbitant de procéder à sa propre délégitimisation. Cela contredit justement la thèse principale de l'ouvrage qui conclut à l’hétérogénéité totale des types de phrases et des genres de discours, ce que Lyotard appellera plus tard dans son maître-livre Le Différend